Jules Verne

Robur bondit vers le roufle central

« Force ! ... Force ! ... cria-t-il au mécanicien. Il faut monter rapidement et plus haut que l'orage!

- Impossible, maître!

- Qu'y a-t-il?

- Les courants sont troublés!... Il se fait des intermittences!...»

Et de fait, l'_Albatros_ s'abaissait sensiblement.

Ainsi qu'il arrive pour les courants des fils télégraphiques pendant les orages, le fonctionnement électrique n'opérait plus qu'incomplètement dans les accumulateurs de l'aéronef. Mais, ce qui n'est qu'un inconvénient quand il s'agit de dépêches, ici, c'était un effroyable danger, c'était l'appareil précipité dans la mer, sans qu'on pût s'en rendre maître.

« Laisse descendre, cria Robur, et sortons de la zone électrique! Allons, enfants, du sang-froid! »

L'ingénieur était monté sur son banc de quart. Les hommes, à leur poste, se tenaient prêts à exécuter les ordres du maître.

L'_Albatros,_ bien qu'il se fût abaissé de quelques centaines de pieds, était encore plongé dans le nuage, au milieu des éclairs qui se croisaient comme les pièces d'un feu d'artifice. C'était à croire qu'il allait être foudroyé. Les hélices se ralentissaient encore, et ce qui n'avait été jusque-là qu'une descente un peu rapide menaçait de devenir une chute.

Enfin, en moins d'une minute, il était manifeste qu'il serait arrivé au niveau de la mer. Une fois immergé, aucune puissance n'aurait pu l'arracher de cet abîme.

Soudain la nuée électrique apparut au-dessus de lui. L'_Albatros_ n'était plus alors qu'à soixante pieds de la crête des lames. En deux ou trois secondes, elles auraient noyé la plate-forme.

Mais, Robur, saisissant l'instant propice, se précipita vers le roufle central, il saisit les leviers de mise en train, il lança le courant des piles que ne neutralisait plus la tension électrique de l'atmosphère ambiante... En un instant, il eut rendu à ses hélices leur vitesse normale, arrêté la chute, maintenu l'_Albatros_ à petite hauteur, pendant que ses propulseurs l'entraînaient loin de l'orage, qu'il ne tarda pas à dépasser.

Inutile de dire que Frycollin avait pris un bain forcé,

- pendant quelques secondes seulement. Lorsqu'il fut ramené à bord, il était mouillé comme s'il eût plongé jusqu'au fond des mers. On le croira sans peine, il ne criait plus.

Le lendemain, 4 juillet, l'_Albatros_ avait franchi la limite septentrionale de la Caspienne.

XI

Dans lequel la colère de Uncle Prudent croît comme le carré de la vitesse.

Si jamais Uncle Prudent et Phil Evans durent renoncer à tout espoir de s'échapper, ce fut bien pendant les cinquante heures qui suivirent. Robur redoutait-il que la garde de ses prisonniers fût moins facile durant cette traversée de l'Europe? C'est possible. Il savait, d'ailleurs, qu'ils étaient décidés à tout pour s'enfuir.

Quoi qu'il en soit, toute tentative eût alors été un suicide. Que l'on saute d'un express, marchant avec une vitesse de cent kilomètres à l'heure, ce n'est peut-être que risquer sa vie, mais, d'un rapide, lancé à raison de deux cents kilomètres, ce serait vouloir la mort.

Or, c'est précisément cette vitesse - le maximum dont il pût disposer - qui fut imprimée à l'_Albatros._ Elle dépassait le vol de l'hirondelle, soit cent quatre-vingts kilomètres à l'heure.

Depuis quelque temps, on a dû le remarquer, les vents du nord-est dominaient avec une persistance très favorable à la direction de l'_Albatros,_ puisqu'il marchait dans le même sens, c'est-à-dire d'une façon générale vers l'ouest. Mais, ces vents commençant à se calmer, il devint bientôt impossible de se tenir sur la plate-forme, sans avoir la respiration coupée par la rapidité du déplacement. Les deux collègues, à un certain moment, eussent même été jetés par-dessus le bord, s'ils n'avaient été acculés contre leur roufle par la pression de l'air.

Heureusement, à travers les hublots de sa cage, le timonier les aperçut, et une sonnerie électrique prévint les hommes, renfermés dans le poste de l'avant.