Jules Verne

Le vieux marin décida que _la Jeune-Hardie_ reprendrait aussitôt la mer. Ce brick, solidement construit, n'avait aucune avarie à réparer. Jean Cornbutte fit publier que s'il plaisait à ses matelots de s'y rembarquer, rien ne serait changé à la composition de l'équipage. Il remplacerait seulement son fils dans le commandement du navire.

Pas un des compagnons de Louis Cornbutte ne manqua à l'appel, et il y avait là de hardis marins, Alain Turquiette, le charpentier Fidèle Misonne, le Breton Penellan, qui remplaçait Pierre Nouquet comme timonier de _la Jeune-Hardie_, et puis Gradlin, Aupic, Gervique, matelots courageux et éprouvés.

Jean Cornbutte proposa de nouveau à André Vasling de reprendre son rang à bord. Le second du brick était un manoeuvrier habile, qui avait fait ses preuves en ramenant _la Jeune-Hardie_ à bon port. Cependant, on ne sait pour quel motif, André Vasling fit quelques difficultés, et demanda à réfléchir.

«Comme vous voudrez, André Vasling, répondit Cornbutte. Souvenez-vous seulement que, si vous acceptez, vous serez le bienvenu parmi nous.»

Jean Cornbutte avait un homme dévoué dans le Breton Penellan, qui fut longtemps son compagnon de voyage. La petite Marie passait autrefois les longues soirées d'hiver dans les bras du timonier, pendant que celui-ci demeurait à terre. Aussi avait-il conservé pour elle une amitié de père, que la jeune fille lui rendait en amour filial. Penellan pressa de tout son pouvoir l'armement du brick, d'autant plus que, selon lui, André Vasling n'avait peut-être pas fait toutes les recherches possibles pour retrouver les naufragés, bien qu'il fût excusé par la responsabilité qui pesait sur lui comme capitaine.

Huit jours ne s'étaient pas écoulés que _la Jeune-Hardie_ se trouvait prête à reprendre la mer. Au lieu de marchandises, elle fut complétement approvisionnée de viandes salées, de biscuits, de barils de farine, de pommes de terre, de porc, de vin, d'eau-de-vie, de café, de thé, de tabac.

Le départ fut fixé au 22 mai. La veille au soir, André Vasling, qui n'avait pas encore rendu réponse à Jean Cornbutte, se rendit à son logis. Il était encore indécis et ne savait quel parti prendre.

Jean Cornbutte n'était pas chez lui, bien que la porte de sa maison fût ouverte. André Vasling pénétra dans la salle commune attenante à la chambre de la jeune fille, et, là, le bruit d'une conversation animée frappa son oreille. Il écouta attentivement et reconnut les voix de Penellan et de Marie.

Sans doute la discussion se prolongeait déjà depuis quelque temps, car la jeune fille semblait opposer une inébranlable fermeté aux observations du marin breton.

«Quel âge a mon oncle Cornbutte? disait Marie.

--Quelque chose comme soixante ans, répondait Penellan.

--Eh bien! ne va-t-il pas affronter des dangers pour retrouver son fils?

--Notre capitaine est un homme solide encore, répliquait le marin. Il a un corps de bois de chêne et des muscles durs comme une barre de rechange! Aussi, je ne suis point effrayé de lui voir reprendre la mer!

--Mon bon Penellan, reprit Marie, on est forte quand on aime! D'ailleurs, j'ai pleine confiance dans l'appui du Ciel. Vous me comprenez et vous me viendrez en aide!

--Non! disait Penellan. C'est impossible, Marie! Qui sait où nous dériverons, et quels maux il nous faudra souffrir! Combien ai-je vu d'hommes vigoureux laisser leur vie dans ces mers!

--Penellan, reprit la jeune fille, il n'en sera ni plus ni moins, et si vous me refusez, je croirai que vous ne m'aimez plus!»

André Vasling avait compris la résolution de la jeune fille. Il réfléchit un instant, et son parti fut pris.

«Jean Cornbutte, dit-il, en s'avançant vers le vieux marin qui entrait, je suis des vôtres. Les causes qui m'empêchaient d'embarquer ont disparu, et vous pouvez compter sur mon dévouement.

--Je n'avais jamais douté de vous, André Vasling, répondit Jean Cornbutte en lui prenant la main. Marie! mon enfant!» dit-il à voix haute.

Marie et Penellan parurent aussitôt.

«Nous appareillerons demain au point du jour avec la marée tombante, dit le vieux marin.