Jules Verne

Eh ! il faut bien se nourrir là-haut, s'il est vrai qu'on ressuscite !... Ce sont peut-être les boulangers du ciel, qui sont venus faire une fournée... »

Et pour finir, une série de plaisanteries, extrêmement peu goûtées des gens de Werst, et que le docteur Patak débitait avec une incroyable jactance.

On le laissa dire.

Et alors le biró de lui demander :

« Ainsi, docteur, vous n'attachez aucune importance à ce qui se passe au burg ?...

-- Aucune, maître Koltz.

-- Est-ce que vous n'avez pas dit que vous seriez prêt à vous y rendre... si l'on vous en défiait ?...

-- Moi ?... répondit l'ancien infirmier, non sans laisser percer un certain ennui de ce qu'on lui rappelait ses paroles.

-- Voyons... Ne l'avez-vous pas dit et répété ? reprit le magister en insistant.

. je l'ai dit... sans doute... et vraiment... s'il ne s'agit que de le répéter...

-- Il s'agit de le faire, dit Hermod.

-- De le faire ?...

-- Oui... et, au lieu de vous en défier... nous nous contentons de vous en prier, ajouta maître Koltz.

-- Vous comprenez... mes amis... certainement... une telle proposition...

-- Eh bien, puisque vous hésitez, s'écria le cabaretier, nous ne vous en prions pas... nous vous en défions !

-- Vous m'en défiez ?...

-- Oui, docteur !

-- Jonas, vous allez trop loin, reprit le biró. Il ne faut pas défier Patak... Nous savons qu'il est homme de parole... Et ce qu'il a dit qu'il ferait, il le fera... ne fût-ce que pour rendre service au village et à tout le pays.

-- Comment, c'est sérieux ?... Vous voulez que j'aille au château des Carpathes ? reprit le docteur, dont la face rubiconde était devenue très pâle.

-- Vous ne sauriez vous en dispenser, répondit catégoriquement maître Koltz.

-- je vous en prie... mes bons amis... je vous en prie... raisonnons, s'il vous plaît !...

-- C'est tout raisonné, répondit Jonas.

-- soyez justes... A quoi me servirait d'aller là-bas... et qu'y trouverais-je ?.. quelques braves gens qui se sont réfugiés au burg...et qui ne gênent personne...

-- Eh bien, répliqua le magister Hermod, si ce sont de braves gens, vous n'avez rien à craindre de leur part, et ce sera une occasion de leur offrir vos services. -- S'ils en avaient besoin, répondit le docteur Patak, s'ils me faisaient demander, je n'hésiterais pas... croyez-le... à me rendre au château. Mais je ne me déplace pas sans être invité, et je ne fais pas gratis mes visites...

-- On vous paiera votre dérangement, dit maître Koltz, et à tant l'heure.

-- Et qui me le paiera ?...

-- Moi... nous... au prix que vous voudrez ! » répondirent la plupart des clients de Jonas.

Visiblement, en dépit de ses constantes fanfaronnades, le docteur était, à tout le moins, aussi poltron que ses compatriotes de Werst. Aussi, après s'être posé en esprit fort, après avoir raillé les légendes du pays, se trouvait-il très embarrassé de refuser le service qu'on lui demandait. Et pourtant, d'aller au château des Carpathes, même si l'on rémunérait son déplacement, cela ne pouvait lui convenir en aucune façon. Il chercha donc à tirer argument de ce que cette visite ne produirait aucun résultat, que le village se couvrirait de ridicule en le déléguant pour explorer le burg... Son argumentation fit long feu.

Voyons, docteur, il me semble que vous n'avez absolument rien à risquer, reprit le magister Hermod, puisque vous ne croyez pas aux esprits...

-- Non... je n'y crois pas.

-- Or, si ce ne sont pas des esprits qui reviennent au château, ce sont des êtres humains qui s'y sont installés, et vous ferez connaissance avec eux.

Le raisonnement du magister ne manquait pas de logique : il était difficile à rétorquer.

« D'accord, Hermod, répondit le docteur Patak, mais je puis être retenu au burg...

C'est qu'alors vous y aurez été bien reçu, répliqua Jonas.

-- Sans doute ; cependant si mon absence se prolongeait, et si quelqu'un avait besoin de moi dans le village...

-- Nous nous portons tous à merveille, répondit maître Koltz, et il n'y a plus un seul malade à Werst depuis que votre dernier client a pris son billet pour l'autre monde.